Aurélie Barbey et Laura Ruccolo à la rivière de l'Osse
Mouchan
A 10 km au sud-ouest de Condom, en plein cœur de la Ténarèze, le charmant village de Mouchan s’étend dans la vallée de l’Osse, autour d’une très remarquable église romane du XIe siècle. Edifié sur l’emplacement d’une villa gallo-romaine, doit-il son nom à Muscius qui en était le propriétaire ? Ou bien aux moines bénédictins qui asséchèrent un marécage insalubre pour créer un îlot « plus sain » (muysano) ?
L’église qu’ils établissent, consacrée à Saint Austrégésile, est absorbée par Cluny dès 1089 et devient un prieuré, autour duquel se constitue peu à peu une sauveté. C’est une étape sur le chemin de Compostelle (Via podensis) jusqu’à la construction au XIIIe siècle du pont de l’Artigue, qui devient le nouveau passage des pèlerins. Le village se fortifia peu à peu, mais dut subir successivement les assauts du Prince Noir pendant la guerre de Cent Ans, puis ceux de Montgoméry pendant les guerres de religion. L’église, totalement délabrée, fut restaurée au cours du XIXe siècle : c’est aujourd’hui un vrai joyau de l’art roman.
Plan d'eau sur l'Osse
Un peu à l’écart du village en direction du sud, une courte promenade conduit au bord de la rivière. L’Osse est un de ces discrets cours d’eau qui du sud au nord, depuis Lannemezan jusqu’à la Garonne, structurent et façonnent le paysage. D’Osse en Gélise, de Gélise en Baïse, les eaux pyrénéennes rejoignent le fleuve qui enserre la Gascogne gersoise d’une large boucle paresseuse.
L’histoire de Mouchan se projette et s’inscrit dans ce paysage : on y trouve les vestiges d’un ancien pont roman, actuellement en cours de restauration, qui enjambait à cet endroit la rivière. Une seule de ses deux arches subsiste encore. Les moines du prieuré l’avaient construit pour accéder à leur moulin. En amont, à deux pas de là, un autre site s’offre au regard du promeneur : une retenue formant cascade, la Pachère, redessine le cours d’eau qui s’élargit soudain. Un sentier minuscule et ombreux permet de s’approcher de cette oasis de fraîcheur. On découvre un calme bassin entouré d’arbres, où s’incruste un charmant petit îlot enfoui sous la végétation. L’eau qui toujours va quelque part semble ici s’arrêter pour nous offrir un petit bout d’espace hors du monde et du temps. Tel un secret chuchoté à ceux qui savent eux aussi s’arrêter.
Aurélie Barbey et Laura Ruccolo
Aurélie Barbey née à Paris en 1983, vit et travaille à Lyon.
Laura Ruccolo née à Mulhouse en 1984, vit à Paris.
Toutes deux sont diplômées de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles. Formées à saisir l’essence d’un paysage dans une approche aussi bien technique qu’intuitive et esthétique, elles ont trouvé dans l’expérience du voyage un prolongement à leurs années d’études, et de quoi nourrir leur sensibilité artistique. Entraînées à concevoir des projets communs, elles ont, parallèlement à leur démarche professionnelle, réalisé ensemble plusieurs installations de land art récompensées par des prix : Arts Nature dans les monts du Sancy, Etangs d’Art en Pays de Brocéliande, et plus récemment La Fête des feuilles à Lyon.
Arc-caduc
Le paysage semble exister sans nous, et même se passer de nous : il n’en est rien. Désigné. Pur produit de la présence humaine, il ne doit sa réalité qu’à l’œil qui le regarde. C’est là qu’intervient le geste médiateur de l’artiste. Aurélie Barbey et Laura Ruccolo sont des « paysagistes » au sens le plus pur du terme : leur regard est déjà une capture, point de départ d’un cheminement qui va de la saisie intuitive d’un lieu à sa transfiguration.
Un pont, un passage, jetés en travers du cours d’eau… Aucun des deux n’est un passage. L’impossible traversée devient l’idée maîtresse autant que la matière même du dispositif ainsi conçu. Une structure légère de bois assemblés et entrecroisés esquissera l’ébauche d’un pont infranchissable, une structure bien réelle et pourtant rêvée, enchâssée dans le paysage qui possède toute la souplesse du vivant, sinueuse comme l’eau elle-même.
L’aventure promise serait simplement celle de l’imaginaire.