Michel Campistron au château de Gensac à Condom
Le domaine de Gensac
Proche de Condom, le domaine de Gensac surplombe la vallée de l’Auvignon, cours d’eau ayant marqué notamment la limite des possessions anglaises après le traité d’Amiens en 1279, territoire sur lequel on édifia plusieurs châteaux gascons. En bordure de cet axe fut construit au XIVe siècle le château, peut-être sur les soubassements de l’un d’entre eux.
Le bâtiment primitif fut beaucoup remanié. Une famille Tartanac de Gensac l’occupa pendant plus de cent ans avant la Révolution. Mais c’est après la Restauration qu’un de ses membres, devenu comte en 1817, entreprit les plus importantes réparations et transformations (puissantes tours carrées, tourelle en encorbellement, terrasse…), ainsi que l’agencement d’un parc somptueux.
Tout près du château se dresse une petite église en pierre, surmontée d’un clocher-mur et flanquée à l’est d’un étroit cimetière. Elle ne fut pas la chapelle du château mais bien une église à part entière, siège d’une paroisse importante, malgré l’absence de village. Elle fut agrandie au milieu du XIXe siècle, ce qui explique la double nef intérieure. Désormais désacralisée et soigneusement restaurée, elle accueille des événements culturels.
En effet, le domaine de Gensac est en pleine renaissance. S’il conserve sa vocation agricole, les propriétaires actuels entendent y développer la production de vin et d’armagnac mais aussi le doter d’une nouvelle identité culturelle. Le domaine de Gensac mérite plus que jamais la devise inscrite sous son blason : Inferius et superius regno, soit « Plus petit et plus grand qu’un royaume ».
Michel Campistron
Vit et travaille dans le Gers.
« Deviens ce que tu es », disait la sagesse socratique. Tel est le cheminement de Campistron. Autodidacte, il débute son parcours par la photographie pratiquée très jeune. Au commencement était donc l’image photographique. C’est par elle que Campistron a appréhendé le monde. Et paradoxalement, elle lui a appris à se délivrer de l’apparence des choses.
Depuis les années 70, son sujet de prédilection a été la tauromachie, traité d’une façon de plus en plus dépouillée. Il expose dès 1982, notamment à Arles.
Une longue gestation transforme le photographe en peintre. Peu à peu la couleur, puis la matière s’invitent, avec parfois l’image photographique elle-même, malmenée par un geste nouveau et libérateur. Progressivement se déploie une œuvre puissante où la densité de la matière s’impose jusqu’à déferler hors du cadre. Campistron y incruste parfois des objets (livres, lunettes…) qui prennent alors le statut de signes : ils nous renvoient au sentiment de notre finitude. Le thème tauromachique reste présent, tout en devenant allusif, mais aussi éloquent dans sa vigueur métaphorique que le crâne dans les Memento mori (récente exposition).
Dès lors les expositions s’enchaînent en France (Paris, le grand Sud-Ouest, le Sud-Est). Et à l’étranger, Florence, Barcelone, Madrid accueillent son travail. En 2010, il est choisi par la galerie Tuset de Barcelone pour la représenter lors de La Tardor de l’Art 2010.
Son œuvre peut en effet revendiquer une appartenance aux écoles catalane et espagnole des Tàpies, Millares, Saura ou Valdès.
Campistron et la Chapelle de Gensac
Qu’est-il arrivé à l’oiseau d’Athéna ? Symbole de sagesse chez les Anciens grecs, la chouette, au fil du temps, est devenue oiseau de malheur. La nuit est son royaume. Sa silhouette et son cri avivent nos peurs : la voilà clouée à la porte des granges pour conjurer le mauvais sort.
Campistron capte ce signal des ténèbres et l’inscrit dans son alphabet personnel. Hanté depuis toujours par le néant qui nous guette, il a décliné de mille façons l’immense tragédie de l’homme : celle de « savoir ce qui le tue ». Et voici que la dame blanche de nos nuits surgit par hasard, tel un matériau brut : Campistron la saisit dans sa toile et lui offre son double métaphorique. L’oiseau se fait évanescent, fantôme de lui-même, jusqu’à n’être plus qu’un souffle, un frisson, un rêve… pour nous dire la dissolution de toutes choses, conjurée pourtant par l’artiste qui en déploie sous nos yeux tous les symboles. Volontairement dissociés et revêtus de blanc, plumes, clous et croix décomposent l’image et construisent un discours qui jaillit tout seul du matériau inerte.
La chapelle de Gensac, flanquée de son petit cimetière, invite à elle seule au recueillement et à la rêverie. La voilà pour un temps frémissante et habitée. Vous qui entrez ici, sachez que la nuit sera blanche.